Le voisinage du chateau de Polignac avec la ville du Puy, de leurs mutuels devoirs et alliances, de la bonne union et intellignece requise entre eux, tant pour leur repos particulier que de celuy de leurs païs.
Chap. III
Le chateau de Polignac a en son midy la ville du Puy ou le Puy Notre Dame et l'avoisine d'environ demi lieue françoise, ny aiant qu'une colline entre deux laquelle si bien autrefois empechoit la vue du chateau et de la ville, aujourd'huy néantmoins par les lavements des eaux la terre s'étant abaissée, l'un et l'autre s'entrevoient de leur plus haut.
Cette ville est l'une des plus grandes, peuplées et riche villes des montagnes de la France, sur l'origine, progrès et perfection de laquelle je ne m'étendray plus avant, renvoyant le curieux à ceux qui de nos jours en ont fait l'histoire entière. Seulement pour mon sujet je diray que cette ville se trouve toute entourée de terres et seigneuries de la maison de Polignac, scavoir de Polignac, Solignac, Ceissac, Brives, la Voute, et St Paulhen jusques à ces portes, et un peu de plus loin après celles-ci : de celles de Chalancon, Choumelix le bas, Craponne, Beaumont, de Randon, de Randonat, et de St Agrève, toutes sur les grands chemins par lesquels on aporte les provisions nécessaires à cette ville, laquelle par conséquent est scituée au coeur, centre et beau milieu des apartenances de la maison de Polignac.
Maison laquelle de tout tems et ancienneté a eu de grands droits et devoirs seigneuriaux dans cette ville, et de fait sa justice entre dans l'enclos et enceinte d'icelle, elle y a son siège et parquet, sa chambre de Conseil et prisons, pour y tenir ses audiences, juger les procès et retenir les prévenus et coupables, avec ce privilège que les allans et revenans de plaider ne peuvent etre arretés pour debte civile, et cette maison ou cour scituée auprès des églises de St Georges, de St Agrepve et de St Vosy s'appelle vulgairement de L'aute.
Mais la première et plus ancienne maison que les vicomtes de Polignac ont eu dans cette ville étoit scituée au plus haut d'icelle et au pied du rocher de Cornilhe appellée du meme nom de Cornille, du côté de St Robert partie des principales rues et les plus marchandes relevant de la maison de Polignac, ou en directe et amphithéose, ou en fief et homage, les mesures du salin sont marquées aux armes de la maison de Polignac et les officiers d'icelle ont droit de visiter et échantiller les mesures, et faire rompre et casser les fausses, de punir les faux sauniers, de la laide, du sel, des fruits et autres denrées qui entrent dans la ville et tous les péages des avenues d'icelle apartienent à la maison de Polignac et anciennement, comme nous avons dit ci dessus, les vicomtes de Polignac prenoient certain droit et tribut à la monnoie qui se fabriquoit.
Davantage je trouve que ces memes vicomtes avoient autrefois l'intendance, régime et gouvernement de la Maison-Dieu et hopital de l'église cathédralle Notre Dame du Puy, conjointement avec les consuls de cette ville et les sieurs chanoines de la meme église, ainsi qu'il en appert par un sommaire et enquete qui en fut faite le lundi pénultième décembre 1510 par devant le Sr Barthélemy Maurin conseiller et chambellan du Roy et son bailly en Velay, à la requete de Mre Raymond Parand procureur du roy au baillage, se plaignant de ce que les chanoines s'étoient emparés de toute l'adminis-tration et en usoient fort mal, au grand domage des pauvres, et résulte de cette apprinse que pour mieux garder les biens et thrésor de cet hopital y souloit avoir trois clefs, dont l'une étoit gardée par les vicomtes de Polignac, l'autre par les Consuls, et la troisième par les chanoines, et en l'anquete sont ouïs Mre Armand de la Farge bailly pour le roy en la ville du Puy, sire Jacques David, sire Claude d'Avignon bourgeois, Me Jean Verdier, Aimar Chandeonis et Mathieu Sobrier notaires royaux et y sont présents Mre Claude Verdier et Guillaume Doleson notaires.
Les vicomtes de Polignac ont encore leur sépulchre et tombeau dans l'une des plus belles églises de cette ville et au beau milieu du choeur d'icelle, où leurs enterremens et honneurs funèbres sont faits presque à la Royale, toutes marques de grande prééminence et authorité et comme de certaine grande alliance entre la ville du Puy et la maison de Polignac se trouvant réciproque de deux cotés.
Car, comme la maison de Polignac a ces beaux droits seigneuriaux dans cette ville, aussi cette meme maison relève et tient en fief et homage la plus grande partie et les principales de ses seigneuries de l'immaculée Vierge et de son église tant sainte, tant célèbre et toute remplie de miracles : l'église cathédrale de Notre Dame du Puy, et de monseigneur son éveque, honoré par les rois de France du titre de comte du pays de Velay, et cette église, éveché et comté ont fait plusieurs belles alliances avec la maison de Polignac et la maison de Polignac avec elles, étant très véritable que non seulement ce siège épiscopal, mais encore le siège de ce vénérable, sacré et auguste collège des chanoines de cette église Notre Dame ont été souvent remplis par de grands personages sortis de la maison de Polignac, et autres y annexées : de Chalancon, Solignac, Ceissac et Beaumont, au temps principalement que pour parvenir à cette belle et grande dignité d'éveque, il falloit y monter par degrés, passer par la porte de la vertu et du mérite, avoir été du corps de ce collège et que d'iceluy le clergé et le peuple prenoient et élisoient les plus relevés en mérite, sainteté de vie, noblesse, et qualité pour leurs éveques.
C'étoit au tems du siècle d'or auquel l'on voioit tout ce sacré collège de chanoines composé de personages des plus grandes et illustres maisons de toutes ces contrées. Des maisons de Polignac, de Mercure, de Chalancon, de Tournon, de Montlaur, de Rochebaron, de la Roue, d'Alègre, de Roche, de Bouzos, de Solignac, de Ceissac, de St Vidal, de St Haon, d'Adiac, de Beaumont, de Glavenas, et autres semblables dont les maisons se voient encore dans le cloitre et aux environs de l'église Notre-Dame.
Siècles heureux en une si noble et si sainte église, église heureuse étant remplie, parée et embellie de grands et si nobles personages s'évertuant à l'envi à qui feroit mieux, que plutot atteindroit à la perfection apostolique et qui pour parvenir à cette première dignité seroit trouvé le plus homme de bien de tout ce chapitre et collège. Collège heureux quand, par la réception et agrégation en son corps de si grands et si nobles personages, on augmentoit, entretenoit et conservoit infiniment bien ses honneurs privilèges et revenus, revenus qui se consommoient et dispersoient honorablement et utilement dans la ville du Puy. Ville heureuse aiant chez elle les enfans des meilleures maison de la province, non seulement pour son ornement et accroissement, mais encore comme pour otage ou pour mieux dire pour protecteur de la seureté et conservation de tout le peuple résident en icelle. Peuple encore heureux quand, pour subvenir à la nourriture et entretènement de tant et de si grands personnages et de leur train et suite, il avoit à s'occuper et employer utilement, faisoit de grands profits, amassoit et entassoit richesse sur richesse.
Ainsi trouvons-nous, du tems de ce siècle d'or, de plusieurs personnages des maisons de Polignac et de Chalancon, six d'iceux etre parvenus par leur mérite et noblesse à cette dignité épiscopale et comté de Velay, tous six recommandables par leurs belles et nobles actions répondantes à la noblesse de leur sang, lustre et grandeur de leur maison et revenantes à l'honneur, profit et embellissement de la ville et des églises d'icelle, actions lesquelles devant raporter en un autre endroit, je me contenterai seulement de marquer le nom de ces six personages : Mre Bertrand de Chalancon 43e éveque, Etienne de Chalancon 45e éveque, Armand de Polignac 49e, Guillaume de Chalancon 70e, autre Guillaume et Pierre de Polignac élus éveques.
Au par-dessus les belles marques de l'affection, munificence et libéralité de ces six éveques issus de la maison de Polignac à l'endroit de la ville du Puy, il s'en trouve infinité d'autres, non seulement des autres personages ecclésiastiques sortis de cette maison, mais encore des seigneurs et dames d'icelle en si grand nombre qu'il est bien vray de dire que la ville du Puy reluit en toutes ses parties des bienfaits de la maison de Polignac.
Il y a encore plus, que outre les beaux droits que la maison de Polignac a dans la ville du Puy, il est encore vray dire que la plupart des habitans d'icelle ont leurs revenus rentes, domaines et métairies dans l'enclos des terres et seigneurs de cette maison, mais principalement pour reprendre nos brisées, notre chateau de Polignac ce superbe et inexpugnable rocher d'Apollon du Soleil, domine, avoisine et envisage tellement toute cette ville, l'éclaire de ses rayons, l'ombrage de son ombre, qu'il semble que de son bon ou mauvais aspect dépendent les bonnes ou mauvaises influences d'icelle ville et de ses habitans, rocher servant de rempart inexpugnable, d'asile et de refuge à ses amis ainsi que d'épouvante, d'effroy, de terreur à ses ennemis.
Et comme notre grand St Sidoine Aopollinaire disoit en quelqu'une de ses épitres, qu'en son tems c'étoit un commun proverbe en ce pais : qu'il falloit estimer l'année bonne non pas tant pour la rencontre que l'on faisoit d'une bonne cueillette, d'une grande abondance, bonté et fertilité des biens et fruits de la terre, mais principalement pour le bon rencontre que l'on faisoit de bons seigneurs supérieurs. Ainsi pouvons-nous bien dire véritablement que les habitans de la ville du Puy ne se pourront jamais glorifier d'avoir des bonnes années par quelque bonne récolte et grande fertilité des biens et fruits de la terre qu'ils puissent avoir, si en meme tems ils ne rencontrent quelques bons seigneurs les vicomtes de Polignac leurs amis et bien affectionnés, zélés et amateurs de leur repos, de la paix de leur ville, du pais et de tout le voisinage, s'étant comme en la plaine disposition de ces seigneurs de faire de grands biens ainsi que de grands maux, de tenir paisible ou en trouble non seulement le pais de Velay mais trois ou quatre princes lui joignant, ainsi que de tout tems il a été reconnu et vérifié, et beaucoup plus souvent pour le bien que pour le mal, la naturelle inclination bonté et prudhomie née avec ces seigneurs les aiant toujours portés à procurer le bien et l'avantage et non jamais ou bien rarement le mal de leurs voisins.
Et c'est la considération de toutes ces choses, laquelle faisoit anciennement raporter par les habitans de cette ville tant de respect, d'honneur et d'affection aux seigneurs vicomtes de Polignac, témoignés par plusieurs lettres des jadis principaux habitans de la ville qui se voient encore dans les archives de Polignac portant au dessus cette bien respectueuse inscription : "A mon très haut et très redouté seigneur monseigneur le vicomte de Polignac", et aux occasions en leurs querelles, guerres et procès, de les assister de leurs personnes et moiens contre leurs ennemis, ainsi que de meme ils ont été assistés et secourus par les vicomtes de Polignac comme nous le déduirons plus amplement en la suite de cette histoire et en la vie de nos vicomtes.
Et toutes et quantes fois que les vicomtes de Polignac sont venus à faire des alliances par mariage, ça été une coutume de tout tems inviolablement gardée dans la ville du Puy d'y recevoir et faire entrée avec pompe et magnificence aux nouvelles épouses de ces vicomtes, aussitot qu'après leur bienvenue faite dans le chateau de Polignac elles viennent rendre leurs voeux et faire leurs dévotions à l'église de la bonne Notre Dame du Puy, tous les habitans de la ville, messieurs du Clergé, de la Justice, du Consulat, bourgeois, marchands, et artisans, capitaine mage et enfans de la ville sortant pour aller au rencontre, féliciter et recevoir l'épousée, ces derniers avec armes, enseignes, fifres et tambours et les autres à cheval, le canon jouant, et MM. les Consuls avec le présent que fait la ville, ainsi que nous le lisons et ainsi l'avons nous veu faire de nos jours, et l'autheur des mémoires de la ville du Puy [Médicis] marque l'avoir veu deux fois de son tems, en ces termes :
"Le dimanche 13 août 1536 fut fait entrée à dame Anna de Beaufort, nouvellement mariée avec Messire François vicomte de Polignac, en la ville du Puy et le capitaine mage avec les bandes et enseignes de la ville et des métiers avec tabourins et fifres luy allarent au devant, les seigneurs d'église, justice et consuls, bourgeois et marchands y allèrent à cheval et aprochans la ville furent salués par plusieurs coups de canon réitérés, lesdits consuls lui firent présent d'une image de Notre Dame d'or et fut faite force joyeux fêtes et autres dons."
Et plus bas : "le lundi 12 juin environ les 9 heures du matin 1554, vint pélerine à Notre Dame du Puy honorée dame Madame Philiberte de Clermont nouvellement mariée avec ledit Sieur François vicomte de Polignac, accompagnée dudit seigneur et des seigneurs abbés de Monestier et de Pébrac et de plusieurs autres seigneurs et gentilhommes, au devant de laquelle les seigneurs Consuls avec plusieurs bourgeois et marchands, seigneurs aussi de l'église cathédrale et gens de justice et tout en bon ordre la rencontrèrent environ une portée d'arc sur le premier oratoire d'entre les vignes et le coup de canon fut réitéré, entra par la porte de Panassac et alla loger au doienné et là les consuls luy firent présent d'une chaine d'or de quatre vingt écus.
Un autre manuscrit raporte que en l'an 1575 messire Louis vicomte de Polignac aiant épousé dame Françoise de St Héran (1), cette dame vint avec sa compagnie faire son entrée dans la ville du Puy et qu'il luy fut fait présent par le Sr de St Martin sire Hugues Ranquet et ses compagnons Consuls, d'une chaine d'or du prix de cent écus.
Feu madame la vicomtesse de Polignac dame Claude Françoise de Tournon en l'an 1599, faisant de meme leur entrée dans la meme ville après son mariage eut un don des Consuls de cette ville, le Sr de Talon étant 1er Consul, une enseigne de pierreries de la valeur de cent écus.
Et pour montrer que cecy n'est pas nouveau ni introduit depuis un siècle seulement, je trouve qu'aux vieux comptes des receveurs de la maison de Polignac de l'année 1379 auquel tems vivoit Armand le Grand vicomte de Polignac, il fut fait dans la ville du Puy une entrée magnifique à Marguerite de Beaufort nièce du pape Grégoire XI femme de ce vicomte, après que les fiançailles en furent célébrées dans le chateau de Bouzols et les nopces dans le chateau de Polignac en la meme année 1379, nous raporterons en quelqu' autre endroit les grands honneurs que la meme ville du Puy rend aux enterremens des memes vicomtes et vicomtesses de Polignac.
Que si la malice du tems ou plutot des hommes a raporté parfois quelque refroidis-sement ou débauche de volonté, de respect, d'honneur ou d'affection entre les habitans de cette ville et les vicomtes de Polignac, combien de malheurs, combien de ruines, ravages et carnages, combien de torrents de sang a-t-on vu découler dans le pais et dans ce petit espace qu'est entre le chateau de Polignac et la ville du Puy, la mémoire n'est que trop fraiche et récente de ce qui est arrivé à ces derniers troubles advenus néantmoins pendant l'enfance de Messeigneurs de Polignac et lorsqu'en cet age si tendre ils ne pouvoient participer ni contribuer rien du leur à tant d'actes tragiques qui se sont commis dans ce pais, mais plutot par effet de leur bon naturel ils déploraient et avoient commisération de tant de sang espandu et de tant de misères causées par les aveuglés et plusieurs passions des amateurs des troubles et divisions.
Mais combien prudemment et sagement, pour faire abolir toutes ces divisions et pour faire paroitre la franchise, l'affection et naturelle inclination que Monseigneur le vicomte de Polignac a au bien et repos des habitans de la ville du Puy, il a par plusieurs fois choisi sa principale demeure dans cette ville, n'est-ce pas pour s'unir tellement de coeur et de volonté avec les habitans, que rien de semblable à ce qu'a esté autrefois ne puisse arriver à l'avenir, comme est la vérité que tant que le chateau de Polignac et cette ville seront en bonne intelligence, il n'y a rien qu'on doive apréhender ni qui puisse en aucune façon troubler le repos, non pas des habitans, mais de tout le reste du pais circonvoisin.